Clémentine, 42 ans, attention les dégâts !
« C’est l’année de mes quarante ans que je suis devenu complètement fou. Auparavant, comme tout le monde, je faisais semblant d’être normal ». Frédéric Beigbeder
La nuit, il ronfle. Au début de notre relation, ses bruits me berçaient. Dix-huit années ont passé et je ne les supporte plus. Je souhaiterais des bouchons d’oreille. Ne plus l’entendre. Me mettre dans ma bulle et me transporter dans un autre univers. Loin de ce lit. Quitter notre foyer.
Quand je bouche mes oreilles, un nouveau monde s’ouvre à moi. Mes pensées me transportent. Où est l’adolescente qui rêvait de devenir chanteuse ? Celle que je suis devenue n’est pas la même. Trois enfants, une maison, un jardin, un mari.
Il m’a demandé en mariage à Vienne, il s’est mis à genou et m’a tendu une bague. Aussitôt j’ai voulu fuir. Je me suis trouvée coincée. Lui dire non, il aurait été vexé. On se serait séparé. Plus de quinze ans après, je comprends, c’était cela qu’il fallait faire, partir. Il n’a jamais rien cerné de qui j’étais. Ou je n’avais pas saisi qu’il n’était pas celui qui me correspondait. Je n’aime pas le conventionnel, le prévisible, le conformisme. Je n’aime pas les traditions. Il aurait tout vendu pour faire bonne figure et être à la hauteur selon ses critères de réussite. Il est allé jusqu’à vendre sa moto pour acheter une alliance. Je portais à présent sa bécane à un annulaire. Il m’avait justement attiré par son look de motard. Mon rebelle. Mon anarchiste qui écoutait Renaud. Il contrastait par rapport à ma famille bourgeoise bordelaise. C’était de folie, de voyage, de faire l’amour dans sa saxo, de bain de minuit dont je rêvais. Mais lui le mariage le rassurait. Il en avait besoin pour se dire, ok elle s’engage, je peux lui faire confiance. Puis, a suivi une union à l’église. La veille, j’ai dit à ma mère que je ne voulais plus l’épouser. Elle m’a dit c’est trop tard, tu divorceras. Ensuite, je me suis concentrée sur la construction d’une vie de famille « modèle ». Est-ce que je me suis lissée à ce qu’il souhaitait pour éviter les conflits ? Mes centres d’intérêts personnels tournaient autour de l’école, de l’éducation. Je m’énervais après la méthode d’apprentissage de lecture de telle maitresse. Pour le manque de qualité nutritive de la cantine scolaire. Pour le retard du prof de piano… Je m’agaçais pour des évènements sans réel profond intérêt.
Est-ce que j’ai mis des œillères pendant toutes ces années ? Probablement. Mes gouts et aspirations n’ont jamais changé depuis mon adolescence, le chant, la musique. Aujourd’hui si je retire mon filtre, si je suis honnête, le constat n’est pas celui du couple modèle. Je n’aime rien des habitudes de celui avec qui je partage mon quotidien, je n’adhère pas à ce qu’il dit, à ses principes… Aujourd’hui, je souhaite ne plus l’entendre pourtant je n’arrive pas à le quitter. Je vis alors de ma passion chanter. Ma voix porte et me transporte. Dans ma tête, j’invente une vie idéale différente sans routine. Pas d’horaire. Je crée, je rature, j’essaie, je rencontre…