Carnets de Céline

Hervé

“Less stuff, more hapiness » (Plus heureux en possédant moins) Graham Hill

Programmateur d’un lieu musical branché, j’aime le son, le bruit m’enivre, les vibrations me transportent. Mon seul remède au lâcher prise. La société m’agresse. Je ne m’y retrouve pas. Tellement d’inégalités. Je fais le choix de ne pas faire d’enfant. Je n’y vois pas de sens. Ma sœur en a déjà quatre, le quota familial est largement dépassé. Ecologiquement, on ne peut pas continuer à se démultiplier. Quelle ressource naturelle pour nous nourrir ? Et la vision égocentrique des enfants que je peux côtoyez dans mon milieu d’amis et familial ne me parle pas. « Je veux des Jordan » dit Mathéo le collégien de ma frangine, je lui rétorque « hey Mat ça vaut 200€ ». Le gamin, il s’en fout, il me dévisage et ajoute « bah quoi mon sweat volcom c’est déjà ce prix j’crois».

J’ai envie de grand air, de nature, d’immensité des paysages. La force des montagnes, l’effort me manquent… Quitter mon appartement, la promiscuité du lieu, le quotidien, le travail, mes soirées solitaires, l’ambiance « collègues ». À Lorient, je vis perché au cinquième étage, je profite d’une vue dégagée qui m’évade et me transporte. Mais suite au confinement, j’aspire davantage à du plain-pied, à plus d’extérieur, de vie en groupe, d’échanges… Comme un trop plein d’écrans, d’enfermement, de cigarettes.

D’ailleurs, dans les mois qui ont suivi l’isolement imposé par la crise sanitaire, j’ai arrêté de fumer. Depuis vingt-cinq ans, quotidiennement, j’achetais un paquet, une habitude destructrice qui au-delà d’abimer ma santé me rongeait mentalement, de peur de développer une maladie. Comme une overdose de tabac durant les semaines à domicile, j’avais pourtant déjà essayé à maintes reprises de stopper cette addiction. Curieusement, sans trop de difficulté, après cette période, je n’en ai rapidement plus ressenti l’envie, telle une indigestion. Mon corps rejetait cette consommation auparavant excessive.

J’ai 46 ans, je travaille dans un commerce. J’aime le contact clientèle, rire, plaire, la mode, la ville… C’est mon côté urbain qui probablement surprit mon entourage lorsque j’ai fait part de ma destination de vacances : une randonnée itinérante de refuge en refuge… dans le Mercantour. J’ai vécu plusieurs années à St Tropez. Les lorientais y voient surement un profil superficiel, matérialiste. Ne peut-on pas prendre plaisir à se baigner dans la Méditerranée tout en adorant l’Atlantique ? La puissance de l’océan et le vent me donnent de la force. Rien de plus enivrant que de marcher un jour de tempête à Groix. Toutefois, j’apprécie aussi la plage de Pampelonne, sa fréquentation plus insolite, de ne pas subir la marée. En peu de mots, je peux boire un verre de rosé avec une tartine de beurre salé !

La société nous impose des cases. Toi, tu es citadin ! Et si je me sens parfois attiré par l’agitation des grandes villes, j’aspire, à d’autres moments, à la tranquillité de la nature. Mon confort me rassure, tout comme je peux vivre avec trois fois rien. C’est dans ce contexte, à la grande surprise de mon entourage, que la préparation de mes vacances a débuté. S’équiper pour une randonnée, étant novice dans ce type d’activité, je l’avoue, un investissement de A à Z s’imposait.

« Moins j’ai de choses et mieux je me porte », m’avait confié une cliente quelques jours auparavant. Elle m’avait convaincu. En préparant mon sac à dos, je réfléchis à l’indispensabilité de chaque élément. Les réseaux sociaux nous amènent vers l’idée inverse qu’il faut posséder, être riche pour être heureux. J’appréhende déjà le retour à la vraie vie, après cette excursion. Par expérience, je sais que la coupure des vacances se montre nécessaire à la vie de travail, mais elle me dérègle beaucoup. Alors, le grand lâcher-prise qui nous attend risque de me dérouter encore plus. Parfois, j’aimerais être différent, moins centré sur l’apparence, mais ma nature s’avère ainsi. Même seul dans mon logement, je ne sais pas me laisser aller à une tenue d’intérieur décontractée un vieux pull… On ne sait jamais qui pourrait sonner à ma porte et je me sentirais mal à l’aise dans un vêtement qui ne me ressemble pas. Cela me rappelle combien je soignais ma sortie de bain à St Trop. Pas question que mes vêtements de randonnée présentent une apparence dépourvue de style. Intrinsèquement, j’aime prendre soin de mon maintien, de mon apparence. Je ne m’impose pas une telle astreinte, je préférerais même de temps en temps me laisser aller à davantage de lâcher-prise. À 8 ans, avec mes parents et mon frère, un été, nous avons découvert les Pyrénées et j’en garde de merveilleux souvenirs. Tous les quatre, ce voyage, je le vois comme une bulle protectrice. Inconsciemment, cette perspective de montagne me rassérène, parce qu’elle fait assurément écho à une pensée heureuse. Ma double facette mer-océan me caractérise, puisque j’adore tout autant la plage et la montagne, le ski et le paddle, la raclette et la burrata, le vin blanc et la bière, les romans et les émissions télé. Ah… ça ne marche pas pour tout : je penche plus pour les hommes ! Jamais néanmoins, je ne me suis défini comme gay. Je n’aime pas les étiquettes. S’il fallait me définir, je dirais asexué. D’ailleurs, je n’aime pas ma nudité. Je me préfère habillé et peut-être cela explique-t-il mon désintérêt pour le sexe. J’aime voir de beaux corps en photo. Même si cela ne m’apporte rien.

L’ultra-connectivité et les réseaux sociaux m’empoisonnent la vie. Sans cesse à jeter un œil sur tel instagrameur, sur l’appli Grindr, je subis de plus en plus l’ultra-connexion m’empêchant de vivre le moment présent. Mon smartphone s’apparente à mon doudou, sans lui je ne trouve pas le sommeil. Je souhaiterais que la randonnée fasse office de cure de désintoxication à ce fléau sociétal. Je n’ai jamais fait de véritable « coming out » car l’homosexualité ne me caractérise pas. Je ne demande pas aux gens leur pratique intime. Je ne me souviens pas précisément quand j’ai pris conscience de ma différence. Pendant l’enfance, c’est sûr que non. À l’adolescence, je me rappelle les jeux de regard. Au lycée, un élève que je croisais régulièrement me créait un émoi particulier. Je le cherchais, il me scrutait. Cet échange sans paroles me troublait. Puis, un autre garçon plus entreprenant a su me faire connaitre mes premiers rapports. Cela me plaisait, mais en fouillant bien dans ma tête, c’est l’interdit qui m’attirait. En 1990, dans le Morbihan, je ne croisais que peu d’homosexuels. Peut-être que si j’avais été élevé dans un autre milieu, ma révélation, puis mes envies d’adulte auraient différé. Mais enfant, ma vie de famille, régulée par le sport et le quotidien routinier sans fantaisie, ne m’a pas poussé à me questionner.

Quelques années plus tard, quand j’ai découvert l’existence de mouvements de revendication à la différence, telles des manifestations à San Francisco, un concert pour le SIDA suite au décès de Freddy Mercury…, je ne me sentais pas porté par cette cause. Certes, les railleries au collège me touchaient quand un enfant me traitait de « pédale », mais pas au-delà. Pas au point de vouloir remuer ciel et terre. J’affectionne la tranquillité. Alors, même si l’injustice existe, la paix des mœurs me correspond mieux. Allez, le trekking m’attend, il est temps de clôturer mon sac !